endobj […] Mes cheveux sont dans un désordre… Ma toilette74. Ce conte qui, sous la plume de Perrault, consolide, même de façon dérangeante, les normes patriarcales et hétérosexuelles devient, sous la direction de Demy, un film camp qui se penche sur d’autres formes de sexualité et d’identité de genre, et remet en cause l’ordre sociosexuel de la France de l’après-guerre. 52La scène où le prince voit la princesse pour la première fois en est peut-être la meilleure démonstration. Comme Cocteau avant lui, Demy associe la monstruosité et l’inceste à des formes non normatives de sexualité37. Une princesse, conseillée par sa fée, refuse l’amour de son père en fuyant cachée dans une peau d’âne, qu’elle quitte parfois quand elle est seule dans sa cabane. Lorsqu’elle s’installe dans la maisonnette sous les traits de Peau d’âne, la princesse se sert de sa baguette magique pour avoir un lit, une chaise, une table, un coffre et, bien sûr, un miroir ; ce faisant, elle recrée l’environnement qui sied à la mise en scène de soi. 16 Rebecca J. Pulju, Women and Mass Consumer Society in Postwar France, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 99. La fée répond : « Y penses-tu ? Vous aimez votre père, je comprends. 71 J’ai montré ailleurs (voir Salonnières…, op. 56L’idée d’une Marie-Antoinette comme œuvre d’art et comme spectacle revient dans plusieurs autres scènes. Voir « Cowles Closing Look Magazine after 34 Years », New York Times, 17 septembre 1971, p. 1. Sur Cocteau dandy, voir Andrea Fontenot, « The Dandy Diva », Camera Obscura, vol. Le miroir qui réfléchit l’image de la princesse et non celle de la fée rappelle celui du Blanche-Neige de Disney, informant la méchante belle-mère que c’est désormais Blanche-Neige qui a l’honneur d’être la plus belle de toutes. Voir Angela Carter, Burning Your Boats : The Collected Short Stories, introduction de Salman Rushdie, Londres, Penguin, 1997, p. 154-169. Demy concrétisa finalement cette envie en réalisant Peau d’âne, long-métrage interprété par Catherine Deneuve (la princesse) et Jean Marais (son père incestueux). 81 Pour sa part, Baudelaire considère la femme comme l’opposé du dandy : « La femme est le Contraire du Dandy. cit., p. 245. En réalité, il transforme ce conte classique qui le fascinait depuis sa jeunesse en un vecteur d’interrogation des formes hétéronormatives de sexualité, dans la lignée des écrivains et des cinéastes homosexuels, au premier rang desquels Jean Cocteau, qui se sont servi de l’inceste comme trope destiné à explorer d’autres formes de sexualité. PEAU D’ANE– Jacques DEMY -1970 « Cake d'Amour » de Peau d'Âne. On peut le voir sur le site de l’INA (http://www.ina.fr/video/4223827001). 46 Richard Dyer, Now You See It : Studies on Lesbian and Gay Film, New York, Routledge, 1990, p. 66. En témoignent clairement les modifications apportées par Disney au « Blanche-Neige » des frères Grimm pour son premier long-métrage d’animation en 1937. Découvrez plus de 56 millions de titres, créez et écoutez vos propres playlists et partagez vos titres préférés avec vos amis. Voir aussi Gayle Rubin, « The Traffic in Women : Notes on the “Political Economy” of Sex », dans Rayna R. Reiter (dir. Liberté artistique et satire grotesque. Par toutes ses attaches avec les textes et les engins du monde moderne, la fée incarne l’avenir inscrit dans le passé et rappelle constamment au spectateur l’existence d’un écart entre notre temps et le non-temps (le passé intemporel) du conte représenté à l’écran, ce qui rend manifeste et, par là même, dénaturalise l’artifice du cinéma en tant que moyen d’expression. Écoutez Amour, amour par Michel Legrand - Peau d'âne - Féerie Musicale. 3 Rodney Hill, « Donkey Skin (Peau d’âne) », Film Quarterly, vol. Joleen. Ces incongruités sont fondées sur des oppositions supposées, principalement entre masculin et féminin, mais aussi entre sacré et profane, esprit et chair, haut et bas, jeunesse et vieillesse48. En contrôlant le regard du jeune homme, c’est elle qui est en situation de pouvoir et non le prince. Comme l’amour de la Belle pour la Bête, l’amour de la princesse (qui devient bête) pour son père (qui renvoie à la Bête de Cocteau) en vient à signifier une forme de sexualité queer transgressive. cité, p. 136. cité, p. 141). Mais il souligne aussi le rapport qu’elle entretient avec son image. 82 Richard Dyer analyse une stratégie semblable chez Jean Genet, où il devient difficile de distinguer narcissisme, voyeurisme et exhibitionnisme (voir R. Dyer, op. Rechercher : INFORMATION . Ensuite, elle se met à chanter « Amour, amour, je t’aime tant » en se regardant dans le miroir. Bien que Demy ait déclaré avoir pensé à un autre décor pour la chambre de la princesse, le cerf ne peut qu’évoquer celui du domaine de la Bête chez Cocteau23. Et, comme dans d’autres films traitant des sexualités qui vont à l’encontre du système sexe-genre de la France des années 1950 et 1960, Demy neutralise toute forme de condamnation morale, de honte ou de culpabilité que, dans des films plus grand public, les personnages pourraient exprimer ou ressentir. Demy a délibérément recherché ce type d’incohérences historiques afin de susciter une impression d’intemporalité, un passé anhistorique comme cadre du conte. La nature merveilleuse du lieu est illustrée dans cet échange : Marie-Antoinette : Les tas de fumier ! 43Dans une certaine mesure, Demy contextualise le conte de Perrault en incorporant à son film des éléments empruntés à l’époque de la société de cour de Louis XIV, avec la vogue du conte de fées des années 1690, qui en marque la naissance comme courant littéraire68. Le perroquet est en train de chanter : "Amour, amour, je t’aime tant !" Enfin bref, j'ai tout de suite pensé à Peau d' âne, qui fait un cake d' amour pour son prince. Je pense que cette année, Mélina va retrouver son assise; c’était dur, l’an passé. Selon Babuscio, le camp est une réaction de la sensibilité homosexuelle à la marginalisation socioculturelle et sexuelle. Tâchez de faire bonne figure. Les filles sont bien. Raphaël Lefèvre qualifie en ces termes l’ultime œuvre de Demy : « Audace tranquille, absence de culpabilité et de jugement moral : Demy achève sa carrière avec un film bancal mais sur une étonnante vision de l’amour et des tabous44. En revisitant ce conte de l’inceste, Demy représente le désir queer d’une manière qui dénaturalise le normal et remet en question les oppositions constitutives de l’ordre sociosexuel de la France de l’après-guerre. 34À travers la figure de la fée des Lilas, Demy établit non seulement un lien avec Jean Harlow, mais il fait aussi implicitement référence à une princesse encore plus moderne : Grace Kelly. Demy met constamment en scène le regard narcissique du soi contemplant son reflet et le regard voyeur d’autrui, aucun des deux n’occupant une position stable d’objet ou de sujet dans le film, comme nous allons le voir. Michel Legrand Essentials. De ce point de vue, la photographie du film devient un point de contact sensuel entre Cocteau et son amant, une manière de construire leur relation queer selon un code visuel animé par la passion du regard de l’amant. On peut même dire que, dans le film de Demy, l’apparence et le désir bestiaux de la princesse assignent à celle-ci le rôle de la Bête, tandis que le prince, par son association avec la rose, joue celui de la Belle. Comme l’indique Le Gras, « Jean Marais était un homosexuel célèbre30 » ; avec Cocteau, il a formé l’un des tout premiers couples ouvertement homosexuels (dans les limites de ce qui était possible à l’époque) de la culture populaire française. Document vidéo. Puis, Marie-Antoinette, Lady Oscar et Madame de Polignac tournent toutes les yeux vers Fersen dont elles admirent la beauté. Afficher en entier Paroles.net dispose d’un accord de licence de paroles de chansons avec la Société des Editeurs et … cité, p. 257). <> Bon l'histoire est bien, c'est un conte intéressant ça y a pas de soucis, mais l'adaptation est vraiment mauvaise. 8, no 1, 1981, p. 99. À l’instar de l’idéologie naissante de la domesticité en France, inséparable de la modernisation synonyme d’américanisation, la « doctrine Disney » valorisait « la famille nucléaire et ses rituels afférents : mariage, parentalité, éducation des émotions et de l’esprit, et consommation62 ». 25 Je m’appuie ici de manière générale sur l’œuvre de Claude Lévi-Strauss pour lequel la prohibition de l’inceste (telle que définie par des sociétés spécifiques) est au fondement de la « culture ». Demy a explicitement commenté, dans un entretien, son désir de rendre hommage à Cocteau par le choix du comédien : « J’ai voulu ce clin d’œil à Cocteau […] car il a été le seul en France à toucher au cinéma fantastique. ), Camp Grounds : Style and Homosexuality, Amherst, University of Massachusetts Press, 1993, p. 26. 2 0 obj » Deneuve est en couverture du numéro du 30 avril 1968 de Look. Vêtue de la peau de l’animal, la princesse s’enfuit du palais et se fait engager comme souillon. Elle semble vivre son mariage avec le prince, qu’elle avait pourtant souhaité, comme une déception et, en apprenant que la fée des Lilas va épouser son père, la princesse a l’air un peu contrariée. Demy exagère cette image en faisant porter par son héroïne l’extravagante robe couleur de soleil quand elle se plonge les mains dans la farine et pétrit la pâte, dans une superposition de la femme, figure de la beauté et de la femme, figure de la domesticité. 64 Cité dans J.-P. Berthomé, op. L’ironie, c’est que l’on pourrait dire que ce mélange du noble et du sale, de l’animal et de l’humain rend « impropre » (au sens de Beaver) cette scène de domesticité. 1, no 5, 1880, p. 415. Elle fait son apparition vêtue d’une robe somptueuse, le prince et la princesse se marient, la princesse se réconcilie avec son père pendant les noces. 12 Pour une brève comparaison des versions de « Peau d’âne » par Straparola, Basile et Perrault, voir Anne Duggan, Salonnières, Furies and Fairies : The Politics of Gender and Cultural Change in Absolutist France, Newark, University of Delaware Press, 2005, p. 149. cit., p. 241). Alors qu’au château de Versailles, la reine est soumise à l’étiquette de la cour et au regard de courtisans et de ministres intrigants dont elle se méfie, c’est elle qui, au Trianon – comme Peau d’âne en sa maison –, a le pouvoir de contrôler magistralement le regard de l’Autre, notamment en choisissant ceux qui peuvent la regarder. Marie-Antoinette est associée à la théâtralité quand elle incarne la Rosine du Barbier de Séville de Beaumarchais (1773) sur la scène du théâtre qu’elle a fait construire au Petit Trianon. 51Comme le dandy de Baudelaire, la princesse et la fée de Demy semblent « vivre et dormir devant un miroir80 ». Lauriane. Peau d’âne obtempère et prépare un gâteau pour le prince, en faisant tomber, fortuitement ou non, sa bague dans la pâte. ], Contes et légendes à l’écran, Condé-sur-Noireau, Corlet, 2005, p. 32). Car, en France, même dans les éditions destinées aux enfants, le thème de l’inceste est maintenu et ce conte connaît une grande diffusion9. Dès ce jour, le roi ne voulut plus jamais revoir sa fille et s’enferma dans son veuvage. 35Comme je l’ai déjà évoqué, Peau d’âne fait de nombreuses et importantes allusions à l’œuvre de Jean Cocteau. « Amour, amour, je t’aime tant … » Toutefois, la juxtaposition de la princesse avec son double bestial dans le film de Demy, ainsi que l’incongruité de l’image de la princesse préparant un gâteau, vêtue d’une robe d’apparat, sophistiquée et encombrante, rend la scène assez ridicule, ou plutôt souligne les aspects que l’on peut déjà considérer comme camp dans le film de Disney, où la représentation de la domesticité est elle-même à la limite de la parodie. 42 Dans Les Demoiselles, Monsieur Dame est amoureux de Solange, mais ne sait pas qu’elle est la fille d’Yvonne, une femme qu’il a aimée. Tandis que la première version de 1838 évoque indirectement une affection incestueuse ou, du moins, suggère que la fille aime trop son père (peut-être à cause d’un excès d’attention de la part de ce dernier), les modifications contenues dans la version de 1863 atténuent encore davantage toute allusion de cette nature. Sentiment complexe mais sans lequel on serait bien en peine. Il y a hélicoptère avec le roi et la fée. Je ne suis pas prête ! 7 Dans le film de Capellani, les hommes du roi brossent l’âne pour qu’il défèque et expulse les pièces d’or. Dans ce film, Marion, comme la princesse de Peau d’âne, est un sujet désirant qui, d’ailleurs, suscite la relation avec l’homme Yves Montand, dont elle découvre par la suite qu’il est son père. Amour, amour, je t’aime tant… Je t’aime tant… – Peau d’Âne On en est tous – toutes – là : c’est quoi l’Amour (bordel) ? Yves G -Coucou Cri cri d’amour, Tu vois je te réponds. cité, p. 28). 36Tant chez Cocteau que chez Demy, des dichotomies telles que nature/culture, passé/présent, animé/inanimé, humain/animal, humain/végétal et féminin/masculin sont problématisées grâce à ces juxtapositions incongrues. Liberté artistique et satire grotesque. En tant que telle, la fée des Lilas est l’incarnation de l’aphorisme d’Oscar Wilde : « Sur toutes les questions sans importance, l’essentiel c’est le style, non la sincérité. La Belle aux cheveux d’or met une touche finale à son apparence dans sa galerie des glaces avant de rencontrer Avenant ; la princesse Florine est amusée par les miroirs magiques dans lesquels femmes et hommes se regardent car ils ont le pouvoir de représenter les gens tels qu’ils voudraient être et non tels qu’ils sont ; en s’observant dans un miroir afin de faire son autoportrait pour la princesse, le prince Lutin se transforme doublement en œuvre d’art dans le cadre du miroir et dans la reproduction de son reflet sur la toile ; et lorsque la guenon Babiole se change en la belle princesse qu’elle est en réalité, celle-ci se délecte de la beauté de son image. Contrairement à Perrault, apologue de la vie de famille, Marie-Catherine d’Aulnoy, sa contemporaine, célèbre dans ses œuvres la culture aristocratique des débuts de l’époque moderne71. Comme l’affirme Rousseau, suivi plus tard par Sigmund Freud et Claude Lévi-Strauss, la prohibition de l’inceste marque l’accession de l’état de nature à celui de culture ou de l’état animal à l’état humain. L’objet de beauté qu’est la reine est mis en avant lorsque Élisabeth-Louise Vigée-Le Brun peint son célèbre portrait de la souveraine. Steven Bruhm résume la position de Freud en termes crus : « L’homosexuel masculin […] peut à la fois s’identifier au père et le désirer, ce qui conduit au malaise initial, décrit par Leo Bersani, selon lequel nous pourrions simultanément désirer être le père et désirer baiser le père ; dans le même temps, l’homosexuel masculin peut s’identifier à la mère par désir pour elle et adopter ainsi l’“axe négatif” consistant à désirer avec elle le phallus40. Désireuse d’épouser son père, la princesse ne comprend pas pourquoi elle devrait y renoncer. Amour, amour, je t'aime tant. ), The Great Fairy-Tale Tradition. 4 0 obj 87 Sur la problématique du narcissisme comme trope queer et le rapport de ce concept avec la psychanalyse, voir Steven Bruhm, Reflecting Narcissus, op. Enfin, mon petit père, c’est la vie et on revient à ces deux mots de sagesse: inch Allah ! De même que dans le conte de Perrault, elle demande à son père de lui offrir trois robes afin de repousser le mariage. Pour une analyse du même type de la femme comme valeur d’échange et comme valeur d’usage, voir Jean-Joseph Goux, « Sexual Difference and History », Symbolic Economies : After Marx and Freud, Ithaca, Cornell University Press, 1990, p. 213-244. 88 Voir Brett Farmer, « The Fabulous Sublimity of Gay Diva Worship », Camera Obscura, vol. Et, comme la princesse de Peau d’âne, Marie-Antoinette incarne le lieu de convergence du narcissisme, du voyeurisme et de l’exhibitionnisme : tandis qu’elle contemple son image, le comte Fersen parcourt ses appartements du regard. « Amour, Amour, Je t’aime tant » chantonnait Anne Germain sous les traits de Catherine Deneuve dans le film Peau d’âne de Jacques Demy. Quand la Française est sale, alors la France est sale et attardée59. Peau d'âne (Bande originale du film) Michel Legrand. 23 Sur l’utilisation des cerfs dans la chambre de la princesse, voir ibid., p. 240. Contrairement aux bonnes fées des versions classiques des contes de fées qui aident et soutiennent l’héroïne, la fée des Lilas du Peau d’âne de Demy se présente comme la rivale sexuelle de la princesse. Entourés de portraits élégants, trois aristocrates clients de la boutique se contemplent dans un miroir tout en examinant « le matériel qui rehaussera leur beauté : des brosses pour parfaire leur coiffure et des boîtes contenant les poudres, parfums ou bijoux qui leur servent de parure70 ». Les « figures aristocratiques considérées comme objets esthétiques », notion des débuts de l’époque moderne, sont parfaitement illustrées par L’Enseigne de Gersaint (1720-1721), œuvre de Watteau. C’est particulièrement évident dans la scène où la princesse exécute l’ordre de préparer un gâteau pour le prince transi d’amour. <>/XObject<>/ProcSet[/PDF/Text/ImageB/ImageC/ImageI] >>/Annots[ 11 0 R] /MediaBox[ 0 0 595.32 841.92] /Contents 4 0 R/Group<>/Tabs/S/StructParents 0>> 34 Irène Eynat-confino, On the Uses of the Fantastic in Modern Theatre : Cocteau, Oedipus, and the Monster, New York, Palgrave, 2008, p. 93. De plus, cette scène joue sur les représentations de la femme comme beauté éthérée, incarnée à la perfection par Catherine Deneuve en princesse, par opposition avec la représentation de la femme comme animal, figurée par le double de la princesse qu’est Peau d’âne. Voir, par exemple, Luce Irigaray, « Le marché des femmes », Ce sexe qui n’en est pas un, Paris, Éditions de Minuit, 1977, p. 167-185. 62La version camp que donne Demy du conte de Perrault met en jeu à la fois la primauté accordée à ce qui peut être interprété comme relevant du camp dans le conte – la mise en évidence d’éléments potentiellement subversifs déjà présents dans la version classique – et l’introduction dans le conte de signes camp. Seuls les animaux et les êtres humains antérieurs à la culture et dépourvus de morale peuvent se livrer librement à de telles pratiques sexuelles31. Comme je le montrerai, Demy donne une version camp de ce classique du conte en en faisant ressortir les éléments potentiellement subversifs présents dans des versions antérieures de ce récit et en y introduisant des caractéristiques de l’esthétisme gay, le cinéma de Jean Cocteau étant pour lui une source particulière d’inspiration. Il est significatif que Demy cite cette icône du cinéma camp qu’est Morrissey en rapport avec son Peau d’âne92. La jeune femme demande le temps de se changer avant d’être présentée à la famille royale. 19Certains commentateurs voient dans la bête monstrueuse au cinéma une figure spécifique de l’homosexualité33. 56 Camille Taboulay, op. Les hommes et les chevaux bleus du royaume de la princesse et ceux, tous rouges, du royaume du prince font penser au « cheval d’une couleur différente » de la cité d’Émeraude du Magicien d’Oz ; mais ces hommes colorés rappellent aussi, par leur posture sculpturale, les statues vivantes de La Belle et la Bête et de la trilogie orphique de Cocteau57. 20, no 2, 2005, p. 167. Pour sa part, la princesse veut être aimée du prince, mais, comme le suggère le film, c’est son père qu’elle préfère, alors que ce dernier lui est interdit (par la fée, ironiquement). L'histoire est encadrée de deux fugues, l’une en ouverture, l’autre en clôture. À ce niveau de signification, la Bête devient le signifiant même de la présence queer au sein du film, malgré l’hétérosexualité (pas tout à fait) conventionnelle dépeinte dans le dénouement dont Cocteau, on le sait, était mécontent35. cit., p. 245). Si Marie-Catherine d’Aulnoy s’intéresse au miroir, c’est pour son statut d’article de luxe à la mode, d’accessoire dans la construction de l’identité individuelle et dans sa fonction de glorification de la beauté superficielle, extérieure et puissante des femmes et des hommes de l’aristocratie mondaine. Comme le conte de 1694, cette version apocryphe connut de nombreuses éditions, notamment au XIXe siècle, et fut adaptée à plusieurs reprises, en particulier dans l’Alphabet des contes de fées : Peau d’âne, publié en 1866, à la fin duquel la princesse demande pardon à son père incestueux pour s’être enfuie ! Comme le cannibalisme, elle menace de transformer l’abondance en stérilité. 15La précarité de la prohibition de l’inceste est mise en évidence dans la scène où la princesse, après avoir appris les intentions de son père, va voir sa marraine, la fée des Lilas (Delphine Seyrig) dans sa demeure forestière, autre lieu où nature et culture, humain et animal, se mélangent et coexistent27. stream cit., p. 96). 66 Voir Susan Sontag, « Notes on “Camp” » (1964), dans Fabio Cleto (dir. %PDF-1.5 40 Steven Bruhm, Reflecting Narcissus : A Queer Aesthetic, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2001, p. 7. Il faut pourtant souligner l’aspect problématique et choquant d’une telle position pour deux raisons au moins. C’est en souvenir de lui, de La Belle et la Bête que je voulais si fort Jean Marais28. Mon interprétation souligne la manière dont Demy transforme un conte qui véhicule traditionnellement, quoique de manière problématique, les normes hétérosexuelles en une histoire qui parle d’autres formes de sexualité. Le miroir joue un rôle capital dans la construction du soi comme spectacle, non seulement par sa fonction complice dans l’élaboration du soi en œuvre d’art, mais aussi par sa capacité à esthétiser les objets qui s’y reflètent. Commentant Peau d’âne, Demy déclare que le château bleu du père de la princesse – la forteresse du XVe siècle du Plessis-Bourré – représente l’Ancien Régime et les tendances conservatrices, tandis que le château rouge du prince – l’élégant château de Chambord de la Renaissance – symbolise quelque chose de plus « révolutionnaire21 ». 23, no 1, 2008, p. 166. Adresse : 2, avenue Gaston Berger CS 24307 F-35044 Rennes cedex France. 12, no 1, 1998, p. 69-88. La préoccupation évidente de Demy pour la question de l’inceste dans son cinéma indique que ce pourrait bien être le cas. Qu’il s’agisse de la Peau d’âne ostracisée qui embellit sa modeste demeure ou de Marie-Antoinette s’inventant un monde imaginaire au Petit Trianon pour échapper aux contraintes de la cour, les films-contes de fées de Jacques Demy mettent effectivement en scène une transcendance de cet ordre. Ce qui semble « naturel » dans la version textuelle du conte – une princesse magnifiquement vêtue traversant la forêt – prend à l’écran l’apparence d’une juxtaposition maladroite et improbable de la « nature » (les bois) et de la « culture » (la robe élégante et encombrante). 2Si des contes de Perrault comme « Cendrillon », « La Belle au bois dormant » et « Le Petit Poucet » ont souvent trouvé le chemin du grand écran dès les origines du cinéma français, peu de cinéastes se sont risqués à faire une adaptation cinématographique de cette histoire d’un roi incestueux qui veut épouser sa très jolie fille5. Cette scène fait penser au film d’Albert Capellani dans lequel Peau d’âne se regarde dans l’eau d’un étang tandis qu’elle garde des moutons, ainsi qu’à l’Orphée de Cocteau où le personnage joué par Jean Marais regarde de manière semblable son reflet dans une grande flaque. Paroles de la chanson Amour Amour par Peau d'Ane. « Peau d’âne » a été réédité plus de soixante-dix fois de 1850 à 1900, dans des anthologies de contes de fées et, moins souvent, sous forme de récit individuel10. Mais il souligne aussi le rapport qu’elle entretient avec son image. Référence à Cocteau, ce plan rappelle de manière frappante une scène d’Orphée dans laquelle Orphée est vu de l’autre côté d’un miroir à travers lequel il essaie de passer. On ne se lasse pas de revoir la robe couleur du temps de Deneuve et de découvrir la recette du cake d’amour. « La Pléiade » 1996, p. 970. 5 Bernard Bastide a répertorié les adaptations de contes de Perrault par le cinéma français de 1897 à 1912 et relevé cinq versions chacun de « Cendrillon » et du « Petit Poucet », quatre versions du « Chat botté », trois versions chacun de « Barbe-bleue » et de « La Belle au bois dormant », mais une seule du « Petit Chaperon rouge », de « Riquet à la houpe », des « Fées » et de Peau d’âne » (voir B. Bastide, « Présence de Perrault dans le cinéma français des premiers temps [1897-1912] », dans Carole Aurouet [dir. 18Depuis l’Essai sur l’origine des langues de Rousseau (1781) et même avant, l’inceste est associé à l’animalité. « Amour, amour, je t’aime tant » chantait Peau d’Âne. […] La sexualité non normative avait été déjà été représentée dans la pièce Orphée (1926), l’inceste allait l’être dans son roman Les Enfants terribles (1929) ; l’inceste, la bisexualité et l’homosexualité dans La Machine infernale. Ainsi, quand Peau d’âne se termine, la boucle est bouclée. Aspect intéressant, Demy brosse un tableau sympathique de Marie-Antoinette, alors même qu’il se montre très critique des abus de l’aristocratie dans Lady Oscar. Apple Music. 6 Voir « Le Livret de Peau d’âne » dans Le Livre. De même, Rodney Hill affirme que « ce conte de fées classique de Charles Perrault (1628-1703) fascinait Jacques Demy depuis la petite enfance et il eut envie d’en faire un film dès son adolescence à Nantes3 ». 28 « Jacques Demy : “J’ai attendu neuf ans pour faire Peau d’âne mais c’est mon adieu aux films roses” », France-Soir, 19 décembre 1970, n. p. 29 Voir J.-P. Berthomé, op. 60On peut voir dans la représentation par Demy de ces trois figures féminines une forme de « culte de la diva » qui, selon Brett Farmer, fait partie de la dynamique de survie « réparatrice » de la culture queer88. Bien entendu, la princesse de Demy est habillée en princesse, vêtue d’une belle robe de taffetas bleu qui tranche nettement avec la forêt à travers laquelle elle se précipite. Freud analyse particulièrement cette association dans son essai consacré à « l’homme aux loups » (voir, par exemple, S. Freud, L’Homme aux loups, trad. Disney fait ainsi de Blanche-Neige une souillon vêtue de hardes qui, comme le note M. Thomas Inge, est une image empruntée à « Cendrillon60 ». Absent du conte de Perrault, ce détail vient probablement de la féerie. Dans cette scène, la princesse qui désire son père est présentée comme amorale. Mais son film muet de quinze minutes délaisse entièrement le thème de l’inceste en faisant demander la main de la princesse par un « fiancé ridicule » – un noble aux jambes affreusement arquées – à la place du père. Elles s’inscrivent dans la lignée du dandy à travers ce que Sima Godfrey appelle « la glorification délibérée du style et de l’élégance personnelle84 » par le dandy et, de façon apparentée, à travers la mise en scène de soi (pour soi-même autant que pour autrui). Grâce à ces aspects incongrus, le film, pour citer Rodney Hill, « met en évidence et en question son univers artificiel et même son propre statut de conte de fées50 ». La fée, la princesse et la reine sont toutes les trois des beautés qui admirent la beauté, y compris la leur. Dans Peau d’âne, puis dans Lady Oscar qui se déroule à la cour de Louis XVI, Demy fait en tout cas preuve d’un goût esthétique pour la culture aristocratique des XVIIe et XVIIIe siècles dont on peut dire qu’elle se caractérise par la mise en scène (à la cour ou dans les salons) et la construction de l’identité individuelle69. 53C’est comme si la princesse s’était mise en scène afin que le prince en tombe amoureux et qu’elle puisse l’observer, ce qui conduit le spectateur à se demander si elle ne serait pas elle-même dotée de quelques pouvoirs féeriques. Retranscription des paroles (Jacques Demy) de la chanson interprétée par Peau d'Âne sur une musique originale de Michel Legrand, pour séduire son Prince Charmant ! À propos de Cocteau en particulier, Irène Eynat-Confino écrit : « Comme le montrent de manière récurrente les œuvres de Cocteau par leur utilisation du monstre comme trope ou être surnaturel concret […], [Cocteau] exprime ainsi l’épreuve qu’il partageait avec toutes les personnes dont la sexualité était non normative et condamnée comme telle par la société34. En revêtant ces robes, chacune étant une véritable œuvre d’art, la princesse contemple son image dans un miroir autant qu’elle est contemplée. Oui, ce n’est pas tant l’être aimé qui vous fascine, mais tout ce qui en découle. 60 Voir M. Thomas Inge, art. ». En faisant désirer son père par la princesse, on pourrait dire que Demy rend le roi encore moins coupable que dans ces versions antérieures. Dans le film de Cocteau, une forme d’amour transgressif (l’inceste) en remplace une autre (la bestialité). De même que « ma Bête » est, chez Cocteau, masculine et féminine (en raison du genre du mot en français), la Peau d’âne de Demy est féminine (comme princesse) et aussi masculine (comme âne). La princesse finit par exiger la peau de l’âne qui produit des pièces d’or – importante source de richesse du royaume – et le roi exauce son vœu déraisonnable. Si Capellani réintroduit des éléments du conte de Perrault laissés de côté pour la féerie, il s’est pourtant clairement inspiré de celle-ci, en particulier avec le brossage du pelage de l’âne afin qu’en tombent des pièces d’or et l’absence de référence à l’inceste7. 57Non seulement elle est une œuvre d’art, mais Marie-Antoinette est créatrice et admiratrice de l’art.
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